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9 octobre 2014 4 09 /10 /octobre /2014 23:20

MAROC 
Témoignage sur la torture du détenu politique Hichem ELMISKINI

« Le mouvement étudiant ne peut faire face à la politique de répression et de terreur qu’il subit de la part de la police et des services secrets (…), qu’à la condition que sa lutte embrasse celle des travailleurs, des paysans et des soldats. » Mao Tsé-toung

Après avoir passé une nuit éreintante à écrire un rapport sur la situation que traversait l’université Qadi Ayad et à préparer mes cours pour la fonction que j’exerce – celle d’enseignant prodiguant des cours de soutien –, après donc ces heures de travail et alors même que je me décidai à aller me coucher, j’ai été surpris par un groupe de policiers qui a brutalement fait irruption chez moi.

Après m’avoir fait subir une pluie d’insultes et de coups, ils ont fini par me menotter à un coin de ma chambre, avant de se mettre à la fouiller de fond en comble. De cette fouille, il me reste notamment en mémoire ce moment douloureux où ils ont violemment arraché le drapeau palestinien accroché à un des murs de ma chambre : ce fut comme s’il m’arrachait le cœur ! Puis ils ont également mis en miettes la photo du camarade internationaliste Che Guevara et ont confisqué tous mes livres. 

Une fois ceci réglé, ils m’ont sorti de l’appartement et m’ont descendu, toujours sous un déluge d’insultes et de coups. Quand je me suis retrouvé en dehors de l’immeuble, j’ai alors pu évaluer à sa juste dimension le nombre considérable des forces répressives présentes – à l’image de celles que l’on envoie lors d’une intervention sioniste contre les maisons des Gazaouis. C’est à cet instant précis que j’ai pris conscience que notre situation était à l’égal de celle des Palestiniens.

Ils m’ont alors fait monter dans une estafette bleue : j’ai retrouvé à l’intérieur deux de mes camarades - Mohamed ELMOUADEN et Boujemâa JAMOU-. Des traces de torture étaient déjà, à cet instant, visibles sur leurs visages. Puis nous ont rejoints les camarades Aziz ELBOUR et Mohamed HARIK, tous deux épuisés également par les sévices de la torture qu’ils avaient déjà endurés. Sur le visage du camarade ELBOUR apparaissaient nettement des traces de coups et de même pour le camarade HARIK qui présentait des bleus sur ses bras. 

A ce moment, des gémissements et des cris se sont fait entendre du rez-de-chaussée de l’immeuble. Et après quelques minutes, on a pu voir sortir de la maison d’autres camarades : ZADDOU, ELBAGDADI, NEJMI, LOUAKASSI. Eux aussi ont été embarqués dans une autre estafette et les deux véhicules ont alors démarré en trombe. Dans ce cortège, les deux estafettes étaient escortées par plusieurs voitures policières et par des motos - comme s’ils avaient arrêté un groupe qui appartiendrait au groupe sioniste « notre maison Israël ».

Lorsque nous sommes arrivés à la préfecture, on nous a fait descendre des estafettes toujours sous un déluge d’insultes accompagné de gifles, de coups de poing et de coups de pieds ; puis nos gardiens nous ont mis face au mur. Ils m’ont arraché ma montre de marque Swatch, mon téléphone portable, et l’un deux m’a dit : « toi, tu ne mérites pas d’être cet endroit ! Fils de pute !». 

Après une heure passée sous un soleil de plomb, ils nous ont fait entrer à l’intérieur de la préfecture et ils nous ont répartis dans des bureaux vides de tout, à l’exception de la présence de nos tortionnaires. Ils m’ont mis sur mes genoux, visage face au mur : « Assieds-toi sur tes genoux, pédé, fils de pute !», pour qu’ensuite commence le déroulé de l’interrogatoire sur ce que nous planifions sur le plan politique. 

Comme je résistai à leurs brimades, l’un d’eux m’a donné un coup de pied sur la poitrine d’une violence telle que je suffoquai à en perdre tout mon souffle ; et avant même que je puisse récupérer mes forces, un autre flic déjà me donnait un autre coup de pied cette fois sur le bras gauche au point que je ne le sente bientôt plus. Le policier chargé de mon interrogatoire est alors devenu presque fou : il a commencé à vouloir m’arracher les oreilles ; il donnait dessus des coups si violents que je crus que j’allais en perdre l’ouïe. Je me suis dit alors : « ma vie n’a de prix que pour servir mon peuple ! ».

Tout cela a continué à une heure très tardive de la nuit. Puis ils nous ont descendus dans les sous-sols et ils nous ont regroupés, moi et mes camarades tous marqués à vif par la torture qui nous avait éreintés. Malgré tout cela, nous avons chanté pour l’avènement de notre patrie et nous avons répété des mots d’ordre comme celui d’un poète : « Oui nous allons mourir ; mais avant cela nous éradiquerons la torture de notre terre !». Tous ces chants nous ont aidés à défier la torture, la faim et le manque de cigarettes.

Le jour suivant, le 16.02.2013, nos tortionnaires nous ont fait remonter l’un après l’autre pour continuer le même scénario que celui du premier jour, avec cependant une variante : le remplacement de nos bourreaux par de nouveaux. Chacun d’eux était dans une pièce particulière et avait ses propres méthodes de torture : l’un excellait pour décoller les oreilles, l’autre pour donner des gifles, des coups de pieds, ou pour écraser sa victime ; un autre encore se réservait encore pour tirer les cheveux avec à chaque fois, à la fin, la même menace : celle de nous violer. 

Durant ce jour, ils concentrèrent leurs questions sur nos objectifs politiques et sur la stratégie visée par notre action. Ces questions - reflets d’intelligences médiocres – étaient par exemple les suivantes : « Que voulez-vous faire dans ce pays ? Qui vous finance ? Qui est votre leader ? Comment vous procurez-vous les livres de ce pédé de Mao ? Quel lien existe-t-il entre vous et Mao alors que lui est Japonais et vous Marocains ? ». Quelle ignorance ! Ils ne savent même pas de quel pays provient le président Mao. 

Bien sûr, chaque question et chaque commentaire étaient entrecoupés de périodes de torture. Et dans cette situation, je pensais toujours à mon cher camarade de route, le martyr Abdrazac ALGADIRI, ce qui me permettait de supporter ce calvaire et d’occulter la torture. 
Cette situation a continué jusqu’au soir ; puis ils nous ont redescendus aux sous-sols sans nous permettre de manger ni de fumer. 

Le dimanche 17.02.2013, ils nous ont présentés au procureur pour prolonger notre « garde à vue » car 48h ne leur avaient pas suffi pour nous faire plier. Puis ils nous ont ramenés à la préfecture pour entamer le dernier acte déterminant de ce processus de tortures physique et psychique. Il s’agissait de nous faire signer des aveux déjà concoctés dans les bureaux des services secrets. L’un d’eux m’a dit de signer, et lorsque j’ai refusé, il m’a tordu le bras droit jusqu’à pratiquement le briser. Un autre a commencé à signer en mon nom et là encore tout cela après une longue période de torture. Puis ils nous ont jetés de nouveau dans les caves.
Tout cela jusqu’au jeudi où ils nous ont emmenés au tribunal. Les traces de coups de la torture se voyaient encore distinctement sur nos corps. Et les avocats de la défense en ont alors profité pour exiger que soit faite une expertise médicale ; ce que le procureur du roi a ordonné. 

On a alors été amené à l’hôpital Ibn TOUFAYL pour voir un médecin mais ce dernier n’a fait qu’inscrire la mention « rien à signaler » sur tous les documents, et nous avons donc compris qu’il était totalement corrompu. Puis a commencé notre détention à la prison de BOULMAHREZ, connue de tous pour sa mauvaise réputation.

Comment conclure tout ceci si ce n’est de rappeler que le projet de l’unification de la résistance ne peut se construire qu’avec des initiatives sérieuses qui s’appuient sur l’engagement et l’autocritique militantes et politiques, et qui seront évidemment initiées par la lutte sur le plan des libertés politiques et syndicales.

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